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Un jeu ludique relèverait de l’ineptie

« Un jeu ludique, c’est comme un homme humain ».
Ludique veut dit « relevant du jeu » (du latin « ludus », jeu) comme humain veut dire « relevant de l’homme ».
Un jeu ludique relèverait dont de l’ineptie ou au pire, de la méconnaissance de la langue française.

Les termes « amusant » (fun en anglais) et « didactique » (qui vise à instruire) sont des termes pouvant être associé au jeu (adjectifs) mais ne sont pas équivalents de l’adjectif ludique (relatif au jeu).

J’ai encore vu passer aujourd’hui (2 février 2024) un post Linkedin nous parlant d’un jeu ludique 🙁
On est pas loin de la fake news !!!
Arrêtons de propager de fausses informations ou définitions sur le sujet.
La prochaine fois, je donne le lien et le nom de l’auteur 🙂

Quand c’est un non professionnel qui évoque un « jeu ludique », on peut l’excuser (méconnaissance) mais quand c’est un « sensé pro » de la ludopédagogie ou de la gamification, on peut se poser des questions légitimes …
Pas vous ?

Dans mon dernier article de revue bibliographique sur l’adaptabilité des jeux d’apprentissage (CIGE 2023), outre le rappel des définitions standards normées, j’ai proposé une nouvelle approche de ces définitions, compatible avec les définitions existantes, mais en apportant plus de structure et de précisions dans un contexte où le terme jeu désigne, en 2024, des jeux de divertissement (ancêtre du mot jeu) et des jeux utilitaires (serious games, quelque soit leur forme de support).

Dans cet article, je propose, notamment, de remonter le terme jeu d’un cran vers le haut (objet parent) et de lui dériver les termes jeu de divertissement et jeu utilitaire comme objets dérivés (ça va parler à celles et ceux qui connaissent la programmation orientée objet).
J’utilise le terme jeu utilitaire plutôt que serious game car, toujours par manque le précision, ce terme est aléatoirement utilisé pour désigner un jeu vidéo utilitaire (la définition initiale d’un serious game), un jeu utilitaire ou un jeu sérieux.

Le jeu pédagogique et d’apprentissage relève du jeu utilitaire. Certains vont même jusqu’à qualifier le « jeu pédagogique » comme étant un jeu d’apprentissage pour l’enfant (ce qui n’est pas étymologiquement faux). Mais dans l’usage, comment est perçu le mot ludopédagogie ? D’autres propose le terme de ludo-andragogie pour qualifier l’utilisation du jeu dans l’enseignement et la formation des adultes (ce qui n’est pas étymologiquement faux). La communauté des ludopédagogues pourrait-elle s’en emparer ?

Il existe également un flou artistique d’usage du terme en français jeu sérieux souvent mentionné en opposition à un jeu de divertissement où les joueurs s’amusent.
On peut également s’amuser en jouant à un jeu utilitaire. C’est d’ailleurs le levier même de l’utilisation d’éléments ludiques pour générer l’état psychologique de « flow » chez les joueurs afin de faciliter la fonction utile du jeu (son objectif principal). Dans un jeu utilitaire, le but est la fonction apportée (pédagogie, facilitation, entraînement, échange de données, passer un message, rencontrer d’autres personnes, inciter à acheter, inciter à adhérer à quelque chose, etc.), le jeu n’étant que le moyen.

On peut également rendre utilitaire l’exploitation d’un jeu de divertissement, sans pour autant que le jeu soit qualifié d’utilitaire ou sérieux, soit intentionnellement, soit par incidence (au sens répercussion).

Exit donc tous les « gourous » (bienveillants ou non) tentant de vous faire croire que l’objectif principal d’un jeu pédagogique est le « fun » (amusement) : « ah ouais, il faut que ce soit fun ! »

Un exercice pédagogique fait la même chose qu’un jeu pédagogique ou d’apprentissage, mais sans le jeu 😉

N.B : un humain peut rire et s’amuser sans l’utilisation d’un jeu !! (ah bon ? Ben oui !)

Quand on utilise un jeu ou des éléments de jeu dans une activité d’éducation, d’enseignement ou de formation, cela relève de la ludopédagogie.
Il y a plusieurs types d’activités pédagogiques. Philippe Lépinard en a identifié 9 types différents (sciences de gestion). Cette classification peut être raisonnablement généralisée en dehors des sciences de gestion (plus largement en ludopédagogie).

Quand on utilise un jeu ou des éléments de jeu dans une activité de facilitation (individuelle ou de groupe), cela relève de la facilitation et pas de la ludopédagogie. Utiliser lu matériel ou des briques de Lego pour amener un groupe de personnes à accepter de travailler ensemble (facilitation), pour générer des idées (idéation), pour amener à accepter un projet de changement en entreprise (LSP) ou pour créer quelque chose (un prototype en Design Thinking, une rétrospective de Sprint ou l’évaluation relative d’un paquet de User Stories en agile, etc.), ce n’est pas de la ludopédagogie (mais c’est bien quand même 😉 ).

Par contre on peut très bien utiliser des briques de Lego (ou un autre type de matériel) au sein d’un jeu d’apprentissage (Lego4scrum, Lego Lean, etc.)

Cela relève t-il de la désinformation ou de la fake news !!! Je vous laisse en juger par vous-même.

Il existe d’autres types de jeu, autres que d’apprentissage dans la famille des jeux utilitaires. Julian Alvarez propose une classification intéressante (sciences de l’information et de la communication) des jeux sérieux vidéo (serious games vidéo) avec le modèle de classification GPS. En 2024, on peut raisonnablement élargir cette classification à toute forme de jeu sérieux ou utilitaires (vidéo, numérique, analogique, hybride ou sans support)

Julian Alvarez propose une définition de la base minimale d’un jeu comme étant l’association d’au moins un joueur, de métabriques (ensemble de règles associées à un objectif) et d’un artéfact (game bit).
N.B : un artéfact est un élément créé par l’humain (support de jeu par ex.). Un support de jeu peut présenter des formes différentes (matériel, numérique hybride ou autres).

Sébastien Genvo propose plutôt de poser la question « est ce un jeu ? », mettant en avant la perception de ce que pourrait être un jeu pour un ou plusieurs joueurs.

Effectivement, en activité d’enseignement ou de formation, il faut accepter qu’un jeu d’apprentissage ne soit pas systématiquement perçu par tous les apprenants comme un jeu. Au pire, il sera perçu comme un exercice mais votre intention pédagogique sera toujours au cœur de votre activité pédagogique (avec ou non la perception d’un jeu).

Concernant les Ludo mythes, on en parlera une prochaine fois, dans un autre article (Merci à Eric Sanchez pour ses publications sur le sujet).

Bref, arrêtons de propager de fausses informations (définitions) ou fake news autour de la ludopédagogie ou des jeux sérieux (vous avez vu, je viens de réintroduire un peu de flou terminologique, avec jeu sérieux, pour le fun).
Un jeu ludique relèverait donc de l’ineptie ou au pire, de la méconnaissance de la langue française 😉

Sources des définitions et publications scientifiques disponibles sur le site web de la Guilde des Ludopédagogues Francophones (https://www.apprendre-avec-le-jeu.com)

Thierry Secqueville