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Relation entre durabilité à l’usage d’un serious game et son lien sociétal

Connaissez vous d’autres jeux, en lien avec leur contexte sociétal, pouvant avoir pris un coup de vieux dans le temps avec l’évolution de la société ?
https://apprendre-avec-le-jeu.com/le-monopoly-un-vieux-jeu/

Pourquoi cette question ?

Pour se sensibiliser à quelques aspects intéressants d’un jeu pouvant être utilisé de manière utilitaire (ludopédagogie, sensibilisation ou autre) :

  1. Le contenu du jeu est-il lié à une situation sociétale particulière d’une époque particulière ?
    => Dans une optique de durabilité et d’adaptation dans le temps, ce lien est-il fort ?
  2. Le contenu du jeu est-il lié à une situation sociétale particulière telle qu’une zone géographique ?
    => Dans une optique de durabilité et d’adaptation à l’usage dans le temps, ce lien géographique est-il fort ?
  3. Le contenu du jeu est-il lié à une culture particulière ?
    => Dans une optique de durabilité et d’adaptation à l’usage, comment le choix d’une autre culture (en terme de contenu ou de gameplay) peut-il influer sur l’efficacité du jeu et son utilisabilité ?

Dans la création d’un jeu (activité de game design), en plus du contenu, il est quelquefois très intéressant de sélectionner certains éléments de gameplay en lien direct avec le thème du jeu (pour les jeux dits de société et de sensibilisation, domaine du divertissement) où le contenu pédagogique du serious game (si c’est un jeu d’apprentissage, appelé aussi jeu pédagogique, domaine de la ludopédagogie).

Mais en pratique, Thierry, ça se concrétise comment ?

Hé bien, prenons d’abord l’exemple d’un serious game dédié à l’apprentissage de l’approche agile.

  • Je vais intégrer dans la forme des défis proposés le principe de l’itération (ou sprint dans Scrum) qui est un espace ressource temps court (fixe en Scrum, de plus) dans lequel le ou les joueurs doivent atteindre un objectif réalisable, acceptable et mesurable sans équivoque.
  • Je peux également intégrer les valeurs (sous la forme d’indicateur ou de badge) et principes (formes de défis, par ex.) définissant Agile dans le manifeste Agile 2001) comme élément à part entière du game design
  • Je m’appuie également assez souvent, lorsque c’est possible, sur la culture commune des apprenants destinés à utiliser le serious game en formation : leur génération, leur commun générationnel, leur culture technique (pas seulement informatique), les codes identifiables du thème, leur spécificité métier, etc. Si Agile devait évoluer dans sa définition, ses valeurs ou ses codes, cela aurait un impact sur le game design du jeu.
  • Cela demande effectivement de ne pas être simplement un game designer « amuseur » et d’avoir des connaissances plus poussées sur chaque domaine à enseigner, une bonne expérience et une certaine maturité (un des avantages d’être Sénior 😉 ).
  • Si le serious game d’apprentissage doit être utilisé en distanciel ou en modalité hybride, je choisi des technologies et des ergonomies en phase avec les joueurs apprenants et la thématique

Ah oui, quand même ! C’est assez pointu, Thierry. Moi, je n’ai besoin que de faire un jeu de plateau avec des cartes et des pions ou de détourner simplement pour des adultes un jeu de société enfantin. Mais faut-il être un expert du domaine ou de la discipline à enseigner pour créer un serious game d’apprentissage efficace qui tienne ses promesses ?

Je dirais que oui et pour plusieurs raisons :

  • Une étude scientifique faisant référence il y a une dizaine d’années tentait de prouver l’inefficacité d’une sélection de serious games vidéo dits éducatifs en mesurant les résultats obtenus. Ceux-ci étaient effectivement décevants et la médiocrité avait été attribuée à la forme pédagogique, le serious game vidéo.
    Il se trouve que quelques années plus tard (mais on en parle moins), un autre chercheur a réussi à démonter l’étude 1ère en prouvant que c’était les modalité de game design (création des jeux) qui étaient en cause. Ces serious games avaient été conçus par des agences de marketing et communication dont la spécificité n’était absolument pas la pédagogie et l’apprentissage. Les serious games avaient donc été conçus et produits avec des techniques de game design non appropriées. Dommage !
  • Voila pourquoi, dans le cadre d’un serious game d’apprentissage, il est préférable de faire appel à un game designer, expert du domaine et ludopédagogue (le trio gagnant).
  • Voila aussi pourquoi je ne développe des serious games que sur des domaines dont j’ai l’expertise et dont je peux garantir l’efficacité pédagogique en situation, parce que je suis aussi ludopédagogue.
  • Bien sur, un game designer sans expertise particulière se battra corps et âme pour défendre un propos contraire. C’est du business mais c’est humain 😉
  • Si on n’a pas sous la main le trio gagnant (on ne peut pas être partout 😉 , la solution la plus appropriée serait de trouver un bon binôme game designer / expert (mais les coûts sont doublés ou alors on en a pour son argent avec des serious games « discount »).
  • Autre scénario avec un projet de serious game d’envergure (serious game vidéo ou hybride) financièrement abordable. Il m’arrive de coordonner la création d’un serious game d’apprentissage spécialisé (IA, Cyber Sécurité, QSE ou autres) en mettant en place un partenariat croisé avec des écoles d’enseignement supérieur s’appuyant sur les projets d’étude d’étudiant dans le domaine concerné, le développement de jeux vidéo ou de serious game. Ce partenariat gagnant gagnant bénéficie de l’expertise des enseignants experts, de mon expertise de serious game designer / ludopédagogue ainsi que de ressources étudiantes particulièrement motivées.
  • A titre personnel, pour la création de serious game, la gamification d’activité ou d’un événement professionnel d’ampleur, j’aime bien travailler aussi en coopération avec une poignée réduite de spécialistes ayant des compétences pointues et complémentaires.

Un autre exemple, tout aussi révélateur, avec un de mes derniers serious games d’apprentissage (2023) destiné aux professionnels et aux étudiants de l’enseignement supérieur.

  • C’est un serious game outil de table permettant à apprendre à modéliser tous les processus avec BPMN 2 (norme internationale). Une version numérique est à l’étude pour un autre cadre d’utilisation.
  • Les règles du jeu sont spécifiées sous la forme d’un digramme de processus offrant à la fois un schéma rapide et simple à comprendre pour n’importe qui et une formalisation en lien direct avec la discipline à apprendre grâce au serious game.
  • La zone de jeu et le matériel proposé mettent en avant les meilleures bonnes pratiques méthodologique pour modéliser des processus (métier, pédagogiques, sécurité, qualité ou autres)

Mais Thierry, cela me semble être du « Hight Level » tout ça, presque de la science fiction pour quelqu’un qui souhaiterait simplement faire travailler des élèves en s’amusant ?

Amusez des enfants, des étudiants ou des professionnels pendant une session de travail est accessible à quasiment tout le monde, donc aux facilitateurs (et tant mieux). C’est le 1er niveau de l’utilisation du jeu à des fins utilitaires : motiver en rendant agréable, passer un moment agréable, sensibiliser, faciliter la communication ou un travail de groupe. On est alors dans la médiatisation (ou communication) et pas dans la ludopédagogie (apprentissage). Ce n’est pas grave si cela ne s’appelle pas la ludopédagogie car la finalité n’est pas l’apprentissage ou l’entrainement. Il y a quelquefois également des serious games à la frontière entre la médiatisation et l’apprentissage (et il faut l’accepter).

Autre indicateur imparable pour détecter des serious games non pédagogiques. Quand l’auteur du jeu annonce que l’objectif pédagogique est « de travailler sur ». La jeu n’aura pas de finalité pédagogique SMART (pourtant, cela s’apprend dans les formations de formateur). Prenez vos jambes à votre cou 😉

N’oubliez pas qu’il est toujours agréable de jouer à un jeu (utilitaire ou non) reposant sur un univers, une époque, un contexte ou une thématique particulière qui fait sens aux joueurs, du point de vue socialisation (activité agréable de groupe) ou cognitif (la madeleine de Proust).

En termes de durabilité d’usage (pertinence du jeu dans le temps), il faudrait toujours se poser les bonnes questions et faire des choix adéquates de game design sur les différents aspects évoqués plus haut.

Thierry Secqueville